Du lien de subordination au lien de sub-organisation – Jean Emmanuel RAY

Le fondement du droit du travail classique c’est la subordination. Tout repose sur « l’autorité qui tombe d’en-haut », le management « à la petit chef ». Il existe donc aujourd’hui un décalage réel entre les règles actuelles du droit du travail et la réalité du terrain.

Le « co-co » (collaboration, coworking, co-construction, etc.) est à l’opposé de ce fondement du droit du travail classique puisque le principe, c’est l’autonomie. On découvre l’« autorité horizontale » de celui qui, bien que hors de l’échelle hiérarchique, devient le véritable leader de la communauté. On recherche aujourd’hui des « trouveurs de solutions », pour lesquels  la subordination est contre-productive.

Exemple concret du décalage entre règles actuelles du droit du travail et réalité du terrain, le télétravail : l’examen du carnet de logs d’un télétravailleur pose très vite au juriste deux problèmes : horaires de nuit et travail dominical.  Le code du travail traite le télétravaileur comme un travailleur comme un autre. Pour un juriste classique le télétravail ne passe pas.

Mais le télétravail pose surtout un souci sociétal majeur. Selon l’INSEE, il y a 3 millions de travailleurs du savoir en France qui  travaillent le dimanche. Le plus souvent pour finir le travail qui ne l’a pas été pendant la semaine. Ce qui s’opposait autrefois à l’exportation du travail à la maison ce n’était pas le droit du travail, c’était la loi de la pesanteur : impossible pour un ouvrier de rapporter sa pièce à finir à la maison!

Le travail immatériel a deux qualités qui peuvent devenir absolument rédhibitoires : je peux travailler n’importe où, n’importe quand. Par ailleurs le travail intellectuel n’est jamais fini. Le travail immatériel s’exporte donc massivement vers la maison. Question du juriste : est-ce du travail commandé? Sans limite, c’est l’apparition des risques psychosociaux. Au bureau, on ne fait plus que réagir, communiquer, on ne travaille plus vraiment. Finalement  on avance concrètement sur les sujets « au calme, à la maison ».                                        Or, si on est à la maison, on est supposément disponible ; on ne dit pas « attends je travaille » à ses enfants, son conjoint. Sinon on crée un désastre familial, un désastre social.

Il nous faut trouver un équilibre, inventer de nouvelles règles.
« Faire du droit c’est faire vivre une société, pas réciter des règles ».

 

Remerciements à  Chrystèle Verfaille,Gregory Bernabeu, Sandrine Delage, Eleonore Duvoux, Brice de Gromard, Claire Madjarian, Alice Maisonnier,
Isabelle Malle, Frederik Poquet, Thierry Valdant et Lyamna Abbrouk pour la rédaction de ce Compte Rendu.