Relations sociale 2.0 : Alexandre d’Hauteville (Microsoft) et Olivier Bruges (Sanofi)

Cette table ronde, relative à la transformation et à la modernisation du dialogue social était animée par Karine Boullier, Directrice Corporate de la Communication RH de Sanofi. Elle a permis de confronter les expériences croisées d’  Alexandre d’Hauteville, Responsable des Relations Sociales de Microsoft France et d’Olivier Bruges, DRH SAG Groupe Sanofi.

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Karine Boullier : Quand et comment la question de l’usage des outils numériques dans l’animation du dialogue social c’est elle posée dans votre entreprise ?

Olivier Bruges : Chez Sanofi, la question s’est posée très tôt, dès le début des années 2000 et a donné lieu, en 2003, à un premier accord de droit syndical spécifique. La première motivation était évidement d’encadrer l’utilisation des outils numérique dans la communication des partenaires sociaux à destination des salariés. Il s’agissait aussi d’éviter que cette communication ne s’externalise. L’un des principes fondamentaux qui a été établi – et réaffirmé depuis –  est celui de l’interdiction de l’information en push : le spamming est interdit. L’information digitale en provenance des partenaires sociaux doit principalement être une communication en « pull » : les salariés acceptent de recevoir l’information syndicale (en s’abonnant à une liste de diffusion par exemple) ou viennent la chercher sur un site dédié) . Des sanctions, en cas d’abus, sont prévues d’ailleurs par l’accord.

Alexandre d’Hauteville : Chez Microsoft nous revoyons nos accords collectifs en la matière après chaque élection professionnelle. Le principe est celui de l’accès par les partenaires sociaux à tous les outils disponibles. Les partenaires les utilisent largement, tant pour communiquer et collaborer entre eux, que dans leurs relations avec les salariés ou dans l’organisation de nos réunions d’information, de consultation ou de négociation qui sont systématiquement prévues avec des possibilités de télé-présence / télé-conférence. Au fur et à mesure des années, on constate que la pratique précède souvent l’accord. Le même principe que chez Sanofi, privilégiant le pull et bannissant le push, est appliqué depuis des années. Il est très bien compris de tous : les salariés rejettent largement cette pratique et les partenaires sociaux comprennent qu’il n’est pas pertinent d’y recourir. Au point que Lync (outil Microsoft de messagerie instantanée) est le seul outil largement boudé par les partenaires sociaux qui s’interdisent eux-même de l’utiliser pour échanger de façon collective avec les salariés. La messagerie instantanée est perçue comme intrusive car le collaborateur préfère solliciter l’information par eux même. 

Karine Boullier : Quelles leçons tirez-vous de ces premières années d’expérience ? 

Olivier Bruges : L’un des sujets majeurs qui apparait au bout de quelques années est celui d’un risque de déséquilibre entre les organisations syndicales en fonction de leur plus ou moins grande maîtrise des des outils digitaux et de leur usage.

Alexandre d’Hauteville : Il ne faut pas sous-estimer la force de l’auto régulation. Les partenaires sociaux comprennent très vite que la plus puissante des sanctions en cas d’abus est celle donnée par les salariés mécontents d’une démarche maladroite ou abusive à leur égard. Nous avons pu également constater la puissance de ces outils lorsqu’ils sont bien utilisés : Microsoft étant par essence accoutumé au digital, la présence virtuelle l’emporte parfois sur la présence réelle. Une organisation syndicale a par exemple remporté les élections grâce à sa communication digitale, mais aussi grâce à des communications ciblées sur les grandes thématiques de l’année avec la création d’outils permettant de rendre des services aux collaborateurs. Elle a réussi a accroître et étendre son influence auprès des salariés bien au-delà de ce que pouvait laisser présager sa présence réelle sur le terrain.

Karine Boullier : Quelles sont selon vous les prochaines étapes dans votre entreprise et les défis que cela représente ?

Olivier Bruges : Il nous faut aider les organisations syndicales à tirer le meilleurs profit de ces outils pour qu’elles ne soient pas débordées par des communautés ou des collectifs de salariés autonomes ou des acteurs externes à l’entreprise … ce qui porterait un coup certain au dialogue social. C’est un risque très important, pas seulement pour les organisations syndicales,  mais bien évidement aussi pour les directions d’entreprises. Il est donc aussi nécessaire de former les collaborateurs pour qu’ils apprennent à mieux utiliser les outils de communication digitaux.

Je crains également les risques de « désintermédiarisation » que pourraient entrainer les nouveaux outils de communication digitale. Le terrain reste un lieu de communication fondamental qui ne peut être totalement remplacé par le digital. Le contact humain est et sera toujours fondamental. Dans une relation de dialogue social entre syndicats et salariés, le digital ne peut pas remplacer les échanges de proximité et rencontres physiques. 

Alexandre d’Hauteville : le nouveau défi est certainement celui qu’offre le réseau social interne. L’utilisation de ce nouvel outil par les partenaires sociaux nécessite une très grande implication de leur part et un fort investissement (community management, animation de la communauté) sans lesquels la communauté en ligne reste peu active. Il leur faut également envisager de développer des « applications captives » et adopter une posture de « curation » plutôt que de cascader l’information  … Finalement des enjeux assez proches de ceux qui questionnent actuellement le management de nos organisations.