Les paradoxes des réseaux sociaux d’entreprise

Mettre en place un réseau social d’entreprise, oblige à faire des choix difficiles qui n’offrent généralement pas de solution satisfaisante. Car cela consiste souvent à gérer toute une série de paradoxes. On pourrait même être tentés de croire que le propre des réseaux sociaux d’entreprise est justement de n’avoir à gérer que des paradoxes. En effet, l’observation des initiatives de ce type donne parfois l’impression que chaque décision est à la fois favorable et néfaste à la réussite de ces initiatives. Et qu’en tout cas, aucune recette infaillible n’existe. En voici quelques exemples :
Les paradoxes des réseaux sociaux d’entreprise

Faut-il privilégier un déploiement progressif ou un big bang pour lancer un RSE ?
Le déploiement progressif va rassurer les sceptiques de l’entreprise car un retour arrière sera (croient-ils) plus facile. C’est également un moyen de tester les contraintes techniques, les freins à l’usage, dans des proportions gérables pour des DSI ou des équipes projets souvent à effectif réduit. A l’inverse, ces pilotes peuvent avoir les pires difficultés à être déployés car ils resteront des excroissances à côtés des process traditionnels sans jamais les remettre en cause. Ou encore leur périmètre restreint n’aura pas permis d’atteindre cet effet de masse indispensable à la production d’échanges : leur inutilité sera ainsi démontrée, enterrant pour longtemps toute autre initiative de RSE.
Faut-il retenir une architecture globale ou des périmètres plus restreints ?
Dans la théorie de l’intelligence collective, un décloisonnement total est le seul moyen d’atteindre à la fois une masse critique d’acteurs et un volume minimum d’échanges, indispensables à l’efficacité de ces pratiques. Mais l’observation montre également que la limitation de périmètre sert la pertinence des choix qui sont faits dans les projets de RSE, en raison de la proximité avec les attentes de leurs clients. Des clients et des attentes plus homogènes favorisent le développement des usages car ces RSE sont une réponse concrète à des besoins immédiats et biens définis.

Faut-il faire participer la hiérarchie à l’animation de ces espaces ?
La participation active de la hiérarchie sera sans aucun doute une preuve de son implication, de sa conviction dans la pertinence du projet de RSE, voire une confirmation de sa contribution à la stratégie. C’est aussi le meilleur moyen de montrer l’exemple et d’inciter les autres collaborateurs à faire évoluer leurs usages. Mais cette valeur d’exemple peut également se révéler destructrice pour le projet car ce nouvel espace d’échanges, sensé assurer liberté de parole et libres échanges, risque d’être considéré soit comme le « haut-parleur » de la Direction, soit comme son espace réservé. Il sera alors évidemment déserté.
Vaut-il mieux favoriser l’information utile ou celle de « lubrifiant social » ?
En étant un peu schématique, deux grandes familles de RSE existent : ceux qui vont se positionner clairement comme des outils de travail, et dans ce cas la règle de liberté d’adhésion et de participation pour les membres sera fortement réduite puisqu’ils vont s’articuler avec les autres outils de travail et les process. Utiliser ce type de RSE deviendra donc indispensable. Peut-on au sein de son entreprise, refuser aujourd’hui d’utiliser la bureautique, le mail ? Mais dans ce cas la valeur ajoutée « sociale » d’un RSE risque fort de se réduire à bien peu. La seconde famille des RSE est celle qui va chercher à créer des échanges, à renforcer un sentiment d’appartenance, en s’appuyant sur des contenus qui renforcent les liens sociaux mais ne contribuent pas à court terme à des objectifs « business ».  Ici, la participation est totalement libre et sans lien direct avec l’activité professionnelle. Dès lors, comment évaluer sa contribution, même indirecte et à moyen terme, à l’activité et aux résultats de l’entreprise ?
Entre la générosité ou l’égoïsme, quel est le levier psychologique le plus efficace ?
Une question un peu provocante, car traditionnellement, ce type de projet trouve son assise dans des valeurs de partage, de collaboration, d’altruisme. Et en effet, dans une organisation qui demande à ses collaborateurs davantage d’efficacité et de productivité pour répondre à la contrainte concurrentielle, comment exiger d’eux qu’ils s’investissent pour les autres ? A l’inverse, la logique des réseaux sociaux s’appuie également sur des notions de réputation individuelle de valorisation, de mise en scène de soi au sein de sa communauté. Performance, valeur, compétence, autant de notions qui viennent nourrir les systèmes d’évaluation interne et qui peuvent représenter de leviers efficaces à activer pour favoriser l’usage des RSE. Peut-on se permettre de les ignorer même s’ils choquent une certaine éthique ?
Comment concilier l’individuel et le collectif ?
Cette question est très liée à la précédente. L’évaluation des collaborateurs a privilégié depuis longtemps la dimension individuelle, avec notamment une individualisation croissante de la rémunération, tout en portant des discours qui valorisent la coopération, la collaboration, le travail en équipe. On voit bien que les comportements attendus sur les RSE, les valeurs qu’ils véhiculent, les ambitions qu’ils suscitent, sont à l’exact opposé des grandes tendances des entreprises et des orientations prises sur les principaux process RH. Donc les RSE doivent servir des stratégies qui s’appuient fortement sur l’individuel, mais avec des mécanismes collectifs.
Au-delà des différences d’organisation, d’histoire, de culture managériale ou d’objectifs, il semble ainsi bien difficile de définir des règles strictes, sensées assurer un succès sans faille à qui souhaite se lancer dans les réseaux sociaux d’entreprise. L’approche pragmatique et itérative, plus que toute théorie, me semble préférable. Sans doute d’ailleurs avez-vous aussi été confronté à d’autres de ces paradoxes ?
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