Digital, travail et industrie musicale, Claude Monnier

À l’occasion de la 16ème rencontre de l’Observatoire autour du thème « Travail et Digital », Claude Monnier, Directeur des Ressources Humaines chez Sony Music, est intervenu sur les enjeux spécifiques de la digitalisation dans le secteur de la musique.

BJ9A4432Avant de décrire le panorama actuel de l’édition musicale, notre intervenant a commencé par poser une question à son auditoire : « Qui parmi vous pirate de la musique ? » La réponse prévisible à cette question a servi de toile pour peindre le constat d’une véritable catastrophe industrielle : en 10 ans, l’industrie de la musique a perdu 80% de sa valeur.

C’est en grande partie le piratage qui en est la cause. Le fait d’avoir gratuitement accès à de la culture, au sens large, et à de la musique, au sens particulier, a eu pour conséquence immédiate la disparition de nombreux postes dans la musique : contre 7 majors il y a dix ans, nous en comptons aujourd’hui seulement trois (Universal, Warner, Sony Music) et tandis que les emplois directs étaient au nombre de 8000 il y a dix ans, ils sont actuellement 1500.

De nos jours, malgré les 2 millions de vinyles vendus en 2015 (plus que sur les 9 années précédentes), la musique piratée représente 90% de la musique écoutée. C’est ainsi, observe C. Monnier, qu’un trou béant pèse sur le financement de cette économie musicale puisque les artistes ne peuvent monter sur scène si leurs productions ne leur rapportent de gains financiers.

Sony Music a répondu à cette destruction de la valeur par plusieurs plans de sauvegarde de l’emploi.

Afin de nous présenter de façon plus détaillée les impacts sociaux au sein de Sony Music, notre intervenant a commencé par expliquer que l’entreprise regroupe trois familles de personnes : artistes, intermittents et collaborateurs permanents. Cette dernière population a été impactée quantitativement par de la destruction d’emploi : on considère qu’1/3 de leurs postes va disparaître dans les 3 ans. Parallèlement à cette disparition, C. Monnier est néanmoins conscient que de nouveaux métiers vont apparaître dans l’industrie de la musique. Des métiers liés notamment au Big Data. En effet, entre le consommateur et l’artiste, la principale des relations lorsque l’on écoute, hormis celle sensorielle et émotionnelle, se fait par la data : qui écoute quoi, quand, comment ?

Face à ces changements se pose encore une fois la question de l’accompagnement. Au sein de Sony Music, les collaborateurs sont accompagnés en apprenant à désapprendre. Dans l’industrie musicale, C. Monnier nous dit avoir fait deux constats majeurs :

— La dimension affective et émotionnelle est très élevée, ce qui rend la gestion des relations humaines à la fois très complexe et passionnante.
— La moyenne d’âge est supérieure à 45 ans et l’ancienneté est en moyenne supérieure à 15 ans.

Ces constats annoncent la difficulté que les collaborateurs rencontrent pour réadapter leurs modes de travail qui, pendant plus de 20 ans, ont très bien fonctionné et sont restés inchangés.

Ainsi, pour anticiper le changement, les collaborateurs sont invités à désapprendre, c’est-à-dire à agir collectivement différemment dans un nouveau métier et avec un manager différent. Cela dit, pour désapprendre, indique le DRH de Sony Music, il est important que les employés soient placés hors les murs de l’entreprise pour ensuite reproduire dans leur environnement habituel ce qu’ils ont vu ailleurs, comme par exemple les savoir-être.

Cette méthodologie a été appliquée au sein de métiers différents sur la base du volontariat. Beaucoup d’échecs en ont résulté, mais plutôt que de les percevoir comme décourageants, l’entreprise s’en est servie comme ressort et les a surcommuniqués. L’effet produit a été celui de rassurer l’ensemble des collaborateurs, mais aussi de repenser l’échec comme une source d’apprentissage fondamentale. Sony Music est allé jusqu’à intégrer cette disposition d’esprit dans sa politique d’évaluation et de récompense managériale : au cours de leurs EI, les top managers doivent indiquer un échec annuel sur lequel il faut qu’il y ait reconnaissance et communication. Finalement, désapprendre peut se définir ainsi : c’est lorsque l’échec devient la structure centrale du bonus du top management.

Nous l’avons compris, l’industrie musicale est un domaine d’activité pas comme les autres, où la passion des salariés atteint des seuils inégalables. Or, si la motivation et l’implication sont des leviers facilitant incontestablement la transformation digitale, C. Monnier indique qu’ils peuvent aussi agir comme des freins à la faculté de désapprendre et réapprendre.

Par ailleurs, en tant que DRH, il est impossible de créer du lien avec ses collaborateurs dans un univers de passion si l’on reste dans une relation technique. Ainsi, si la RH espère embarquer l’ensemble des salariés dans la digitalisation de l’entreprise, elle doit changer ses codes pour basculer dans un dialogue collectif, à la fois émotionnel et sensoriel.

En guise de conclusion, C. Monnier a laissé son auditoire sur une touche musicale en partageant sa playlist du moment : Jain, révélation féminine aux Victoires de la Musique, Louane, Gaël Faure ainsi que le musicien électronique Super Poze rythment ses journées.