Les transformations du métier d’enseignant-chercheur liées au numérique, Aurélie Dudezert

À l’occasion de la 16ème rencontre de l’Observatoire autour du thème « Travail et Digital », Jean Daries, Directeur de l’Identité numérique d’Orange, a donné la parole à Aurélie Dudezert, Professeur des Universités en Sciences de Gestion à l’Institut d’Administration des Entreprises de Poitiers et Chercheur en Management des Systèmes d’Information, sur les transformations des pratiques de travail liées au numérique.

A.DudezertAvant de décrire l’impact de la transformation digitale sur le métier d’enseignant-chercheur, A. Dudezert revient sur la définition de cette profession et explique qu’elle recouvre trois types de responsabilités : le rôle d’enseignant, de chercheur et de gestionnaire des établissements d’enseignement supérieur et des communautés académiques. Tout enseignant-chercheur est évalué sur la base de ces 3 responsabilités dans lesquelles il s’investit plus ou moins en fonction de ses compétences, des besoins de son établissement d’affectation, de l’ancienneté ou encore du grade.

La transformation digitale, au sens de mise à disposition des technologies et pratiques collaboratives dans les organisations, aura ainsi un impact différent en fonction de la responsabilité concernée.

En premier lieu, notre intervenante est partie de son expérience en présentant les deux conséquences directes sur la pédagogie :

1) La première découle du changement du rapport des étudiants au savoir et de la multiplication des modes d’accès au contenu. Avec Wikipédia, Facebook, Twitter…, les étudiants ont un accès direct et personnel aux contenus : ils choisissent l’information qui leur est utile. Ils apprennent beaucoup entre eux, sur site ou à distance.
L’enseignant, observe A. Dudezert, doit alors se concentrer sur la nécessité de rendre compréhensible les contenus accédés, de les mettre en perspective, de veiller à la cohérence de l’assimilation des contenus. Progressivement, l’enseignant du supérieur passe de « maître », fournisseur du contenu, à « animateur » qui apprend à apprendre aux étudiants. Ceci induit un changement de posture chez l’enseignant mais aussi chez les étudiants.

2) Cela amène à la deuxième conséquence sur la pédagogie : les enseignants du supérieur doivent faire évoluer les étudiants d’un usage des outils digitaux pour des objectifs personnels à un usage professionnel. En effet, les étudiants ont appris à utiliser ces outils sans se préoccuper des conséquences organisationnelles comme la sécurité des données, la traçabilité de la décision, la responsabilité, le respect du droit, des déontologies.

Dans le cadre de la recherche académique, notre intervenante souligne que la transformation digitale pourrait s’avérer bénéfique en ce qu’elle a le potentiel d’ améliorer le dialogue entre le monde de la recherche et de l’administration. En effet, structurellement, ces deux mondes se comprennent très mal alors qu’ils doivent travailler ensemble.

Pour la structure administrative, qui fonctionne selon le mode classique « command & control », les chercheurs sont « ingérables » parce qu’ils n’acceptent pas les contraintes de processus et ne sont jamais là (très souvent nomades). De leurs côtés, les chercheurs ne peuvent pas accepter les contraintes imposées par l’administration. Leur cadre temporel de travail n’a pas de claire délimitation. Ils gèrent à la fois une temporalité d’urgence et de très long terme. Ils fonctionnent sur des modes informels avec une formalité spécifique liée au savoir.

Dans les faits, dans les structures administratives bien gérées et à l’écoute des enseignants chercheurs, des évolutions ont eu lieu mais elles n’ont pas été accompagnées, ni structurées. La transformation s’est faite à marche forcée par les personnels administratifs, créant parfois des tensions ou des incompréhensions.

C’est pourquoi, si la transformation digitale peut apporter une meilleure compréhension entre ces deux mondes, A. Dudezert est convaincue que cela doit d’abord passer par l’ accompagnement au changement.

La question qui suit coule de source : « Comment accompagner ce changement ? Quels freins et leviers ? » Sa réponse est toutefois moins évidente.

Dans un premier temps, observe A. Dudezert, on a considéré que les enseignants-chercheurs devaient s’adapter d’eux-mêmes tout comme le personnel administratif. Ce n’est que récemment que des actions ont commencé à être engagées.
– Au niveau national, la FNEGE lance un groupe de travail sur le numérique et le management qui devra notamment réfléchir aux évolutions des pratiques pédagogiques et à leur accompagnement.
– Au niveau local, on constate aussi une prise de conscience dans les établissements. Par exemple, à l’IAE de Poitiers, un vaste projet de transformation « Pratiques Digitales » a été lancé. Il touche à la fois aux évolutions des pratiques pédagogiques et aux évolutions des pratiques de travail. A. Dudezert pilote l’ensemble de ce projet depuis septembre avec le soutien fort de la Direction.

Bien sûr il y a des résistances et des oppositions, mais par une approche centrée sur le Test & Learn, sur l’écoute, l’accompagnement au quotidien, A. Dudezert affirme qu’il est possible d’arriver à une convergence dans la mobilisation des technologies et de soutenir plus efficacement certains processus de travail pour soulager le quotidien des personnels administratifs et des enseignants-chercheurs.