L’intelligence artificielle bouscule les business models dans un grand nombre de secteurs mais les avancées technologiques qu’elle engendre sont particulièrement prometteuses et attendues dans le domaine de la santé. Isabelle Vitali, Directrice Innovation et Business Excellence chez Sanofi, nous en dit plus sur ces nouveaux enjeux.
Isabelle Vitali est Directrice Innovation et Business Excellence chez Sanofi. Elle présente un parcours riche au sein de nombreux laboratoires : Merck, Roche et aujourd’hui Sanofi. Elle est passionnée par l’innovation et la santé, et surtout par l’humain. Selon elle, il est crucial d’accompagner, de sensibiliser et de former les collaborateurs pour les aider à exploiter les opportunités de cette transformation.
Isabelle, quelles opportunités offre l’intelligence artificielle pour le secteur de la santé ?
Isabelle Vitali : Effectivement, traditionnellement, le secteur de la santé dispose de beaucoup de data issue par exemple des essais cliniques, des données de vie, etc. Ce secteur a la chance d’avoir acquis des compétences dans la collecte, le stockage, la fiabilisation, l’analyse de la data depuis de nombreuses années. Ces données sont à la fois très riches, très qualitatives, et en même temps très sensibles. Il faut savoir également que ces données présentent l’avantage de couvrir l’ensemble de la chaîne : des essais cliniques jusqu’au suivi des prescriptions. Ainsi, l’analyse de ces données permet d’améliorer notre connaissance des maladies et de leur évolution. Elles permettent de raccourcir les délais des essais cliniques, ou encore par exemple d’assurer un suivi précis des usages des patients dans la prise de leur traitement et du dosage des médicaments administrés. Nous collaborons ainsi avec Orange pour concevoir un agent conversationnel destiné à renforcer l’information sur le bon usage des médicaments pour les professionnels de santé.
En quoi l’intelligence artificielle a-telle modifié les méthodes de travail de Sanofi ?
L’intelligence artificielle nous impose de revoir notre approche du métier et les compétences nécessaires. Pour plusieurs raisons, industrielles, économiques, notre activité était traditionnellement product oriented. Nous évoluons pour être davantage client centric, en nous appuyant sur la data. L’intelligence artificielle et le digital nécessitent des complémentarités d’expertises en nouvelles technologies et en e-santé que nous n’avions pas. Nous avons donc développé des partenariats avec de grands groupes et des start-up pour aller chercher ces compétences qui nous manquaient. Cela peut modifier de manière profonde la totalité de nos métiers, de la recherche au marketing. Cela nécessite donc de développer de nouvelles compétences chez nos collaborateurs.
Quelles sont ces nouvelles compétences à développer ? Concernent-elles tous les collaborateurs ?
Ces nouvelles compétences, nous allons les chercher à l’extérieur ou bien nous formons nos collaborateurs. Par exemple, nous pouvons imaginer recruter de nouveaux profils pour nous : des experts de la donnée voire des mathématiciens, pour de nouveaux métiers chez Sanofi comme des data scientists ou des experts en data visualisation. Il nous appartient aussi de développer de nouvelles compétences chez tous les collaborateurs, autour des soft skills, pour intégrer de nouvelles méthodes de collaboration avec d’autres acteurs et de nouvelles manières de travailler en méthodes plus agiles ; c’est vrai pour tous les métiers : marketing, vente, réglementaire, médical, etc.
En 2018, nous allons lancer un projet qui me tient particulièrement à coeur. Nous sommes partis du postulat que nos collaborateurs sont les plus à même d’identifier les évolutions de leur métier, et donc de définir les compétences nouvelles nécessaires dans ce monde digital, donc les formations à développer. Cela traduit également une conviction que nous avons : cette transformation ne peut pas se faire sans y associer étroitement les collaborateurs, en leur donnant véritablement un rôle actif.
Dans de nombreuses entreprises, l’intelligence artificielle suscite aussi des inquiétudes. Est-ce le cas chez Sanofi ? Qu’avez-vous mis en place pour lever ces freins ?
Bien sûr que cette transformation des métiers, des méthodes de travail, des compétences nécessaires est de nature à inquiéter certains collaborateurs. La pyramide des âges est un facteur dont il nous faut tenir compte. Il est indispensable d’accepter et de comprendre les inquiétudes, les réticences et de ne surtout pas les ignorer. Un élément important de la transformation à prendre en compte est celui du rythme d’adoption, qui est nécessairement différent selon les collaborateurs. C’est pourquoi nous avons fait le choix de nous appuyer sur certains collaborateurs, des ambassadeurs pour lesquels le rythme d’adoption était un peu plus rapide et qui permet d’embarquer d’autres collaborateurs. C’est une méthode « douce », par petits pas. Nous allons nous appuyer sur ces ambassadeurs pour rassurer, utiliser des exemples concrets pour convaincre des bénéfices de cette transformation.
Nous avons également ouvert un lieu physique, le 39BIS, un laboratoire dédié à la e-santé, qui favorise la pédagogie, la sensibilisation, avec des rencontres entre les collaborateurs et des intervenants externes, des sessions de découverte, du design thinking, des méthodes agiles et le support de projets concrets en e-santé. Enfin, il me semble essentiel de préciser qu’un tel projet de transformation ne peut se faire sans s’engager dans une posture de droit à l’erreur, sans laquelle on ne peut demander de l’audace et de la prise de risque à nos collaborateurs.