L’intelligence artificielle comme levier d’innovation sociale, Gaëtan Congar – Croix-Rouge

La Croix-Rouge est l’une des associations les plus importantes de France. Cette organisation agit à différentes échelles : locale, régionale et nationale. Elle dispose aussi d’un conseil d’administration avec une trentaine de bénévoles qui ont des compétences particulières.  Gaëtan Congar y porte les sujets liés à l’innovation sociale. Il a été président d’une unité locale de la Croix-Rouge en Bretagne à seulement 25 ans, et il est désormais Administrateur en charge de la stratégie de l’innovation au sein de la Croix-Rouge Française sur le plan national. Sa mission au quotidien est d’imaginer à quoi ressembleront les actions de la Croix-Rouge dans les années à venir.

Pourtant, quand on parle de la Croix-Rouge, on pense humanitaire, bénévolat, secourisme, et pas forcément réalité virtuelle, robotique ou intelligence artificielle.

Gaëtan, quelle est la place des sujets liés à l’innovation chez vous ?

 Gaëtan Congar : Même si la Croix-Rouge est une association, il faut savoir que derrière notre stratégie de l’innovation, on embarque 100 000 acteurs, dont 60 000 bénévoles répartis partout en France, 20 000 salariés, et également 20 000 étudiants. Ça fait beaucoup de monde à embarquer dans une stratégie de l’innovation ! De plus, en 150 ans d’existence en France, la Croix Rouge n’a cessé d’innover. Par exemple, la première école d’infirmières a été créée par la Croix-Rouge, il y a environ 60 ans. Dans ce nouveau mandat, le conseil d’administration a mis l’accent sur la stratégie de l’innovation pour commencer à travailler sur ces nouveaux aspects qui vont impacter l’ensemble de nos activités.

Concrètement, dans les secteurs d’activité de la Croix-Rouge, on ressent les mêmes besoins et attentes que dans les entreprises. Quand vous avez 100 000 personnes qui sont engagées à la Croix-Rouge, l’expérience salarié est exactement la même que celle d’une grande entreprise. D’où l’intérêt pour nous de travailler sur une palette d’outils, dont l’intelligence artificielle, pour servir notre stratégie et les actions qu’on doit mettre en place. On trouve un bon exemple d’utilisation de ces outils dans nos activités avec les hôpitaux. Dans ces instituts de soins Croix-Rouge, on s’est demandé comment ces technologies pouvaient servir le bien commun au quotidien. On a travaillé sur l’utilisation de la réalité virtuelle pour venir faciliter l’administration de médicaments aux enfants, en les faisant participer à des jeux avant les opérations.

Mon rôle dans le conseil d’administration est d’orienter la position de la Croix-Rouge sur le sujet. L’intelligence artificielle peut être vue comme une compétition ou un moyen « d’augmenter » l’humain. C’est notre responsabilité en tant qu’association de montrer jusqu’où on peut aller en termes « d’augmentation » de l’homme.

 Comment l’intelligence artificielle est elle perçue en interne par les 100 000 acteurs de la Croix-Rouge ?

C’est une vraie question qui est remontée très tôt dans une organisatio comme la Croix-Rouge. On a une forte disparité des bénévoles en termes d’âge, et en termes de compétences numériques. Ces 100 000 personnes ont toutes un profil différent, mais une caractéristique en commun : l’engagement qui les motive.

Mon premier chantier, en amont, a été de sonder l’ensemble des bénévoles sur notre réseau à travers une étude pour leur demander : « Pour vous, comment voyez-vous l’innovation de la Croix-Rouge demain et souhaitez-vous en faire partie ? ». Sur les 30 000 enquêtes envoyées aux 60 000 bénévoles, on a reçu plus de 10 000 réponses, dont 2000 propositions d’actions pour l’avenir de la Croix-Rouge. Cette première étape a permis d’embarquer 100 000 personnes autour de cette stratégie d’innovation. Ensuite, sur le terrain, nous avons mis en place un programme d’accompagnement et d’acculturation des bénévoles. Grâce aux échanges avec des groupes de travail et au proof of concept (POC), ils peuvent voir les bénéfices de cette technologie.

Y a-t-il eu des réticents ? Comment avez-vous fait pour embarquer tout le monde dans cette aventure ?

Un des freins, sur lequel je n’ai pas eu de visibilité, concerne les personnes avec une compétence métier très forte. Par exemple, lorsqu’on travaille sur l’intelligence artificielle pour les activités de secourisme ou d’information sur des gestes qui sauvent, c’est extrêmement important de prendre le temps d’écouter, d’accompagner et de co-construire avec ceux qui ont l’expertise. Là encore, la transparence est nécessaire pour réussir à coupler technologie et usages des métiers. La notion de transparence a été un des premiers pivots sur lequel on a travaillé avec le conseil d’administration pour embarquer l’ensemble du réseau Croix-Rouge. Un autre exemple pour accompagner les plus réticents, concerne cette fois l’utilisation des outils numériques. On a développé un programme d’acculturation au digital et on travaille avec des ressources internes. On a mis également en place un programme d’entrepreneuriat pour accompagner les bénévoles qui veulent donner vie à leurs projets. L’idée est de répondre à une attente du réseau en soutenant l’innovation.

Avez-vous des exemples « terrain » d’usage des nouvelles technologies pour vos actions bénévoles ?

Dans le cadre d’un programme, en cours de lancement dans plusieurs villes en France, nos bénévoles vont dans des maisons de retraite et utilisent des casques de réalité virtuelle auprès des personnes âgées et des personnes isolées pour leur faire vivre de nouvelles expériences et pour les sortir de leur quotidien. On échange aujourd’hui avec des universitaires sur l’impact que cela peut avoir sur différentes maladies et comment cela permet de stimuler la mémoire. Un autre exemple concret, cette fois-ci sur l’urgence humanitaire, où l’impact de ces technologies est plus fort. En cas de catastrophe naturelle, la première difficulté est l’accès aux zones touchées. Après le passage de l’ouragan Irma aux Antilles, on a envoyé les équipes en amont et on a mis 48 heures pour détecter les endroits accessibles en voiture pour livrer du matériel. Demain, ces 48 heures seront réduites à une heure, grâce à des drones qui seront en mesure de nous dire exactement à quel endroit il y a des bâtiments détériorés pour intervenir en urgence.