Le 28 novembre dernier plus de 300 personnes issues d’une centaines d’entreprises différentes se retrouvaient au MEDEF pour la désormais traditionnelle rencontre de l’Observatoire. Cette 21ème Rencontre aura été l’occasion d’approfondir le thème suivant : « Transformation digitale, à la recherche du temps pertinent ».
Ziryeb Marouf, le président et fondateur de l’Observatoire des Réseaux Sociaux d’Entreprise, a commencé par remercier l’ensemble des membres ainsi que les principaux sponsors de l’Observatoire, avant de rappeler la portée de cette thématique.
Pour ce faire, Z. Marouf s’est référé au rapport de Bruno Mettling intitulé « Transformation numérique et vie au travail », qui avait été remis à la ministre du travail le 15 septembre 2015. Le rapport met en avant les effets de la transformation numérique sur le monde du travail et formule 36 préconisations pour accélérer et réussir la transformation numérique des entreprises.
Ces préconisations permettent de mesurer l’impact du numérique sur le travail et l’organisation, d’identifier les facteurs clés de succès de ces transformations, et de bien identifier les risques pour s’en prémunir.
Ce rapport s’installe dans un monde volatil, incertain, complexe et ambigu car le 1er vecteur celui des technologies, en pleines mutations (blockchain, IoT, cybersecurité, IA et impacts sur l’emploi…), ne sont pas des sujets neutres. Ce monde s’explique aussi par les grands bouleversements économiques, par l’impact écologique (ne l’oublions pas le digital a aussi sa part de responsabilité dans l’empreinte carbone), mais aussi d’un point de vue géopolitique et social.
Face à ce constat, Z. Marouf a pris un moment pour faire une rétrospective des différents thèmes abordés par l’Observatoire depuis la 13ème Rencontre:
- Dialogue social : comment le numérique impacte le dialogue social ?
- Innovation connective ou en réseau
- Digital Learning : comment passer d’entreprises avec des directions de la formation à des entreprises apprenantes centré sur l’apprenant ?
- Digital et droit du travail
- Symétrie des attentions entre celles que l’on doit et que l’on mène pour nos clients et celles que l’on a pour nos salariés
- Big data et analytics pour des services personnalisés aux salariés (à condition que cela soit fait dans un cadre éthique et déontologique)
- La culture numérique : comment le numérique s’insère dans un écosystème les Bytes, les Bricks, les Behaviours , la Brand et le Business ?
- L’impact de l’Intelligence Artificielle sur l’emploi et sur le travail.
Si grâce aux Rencontres de l’Observatoire, tout le monde comprend mieux cette transformation numérique des organisations, on a l’intuition que la vitesse n’est pas au rendez-vous. C’est tout naturellement que Z. Marouf fait le lien entre transformation digitale et gestion du temps, en citant Napoléon : « la force d’une armée s’évalue par la masse multipliée par la vitesse ». En effet, si la masse représente les actions de chacun, c’est tous ensemble que nous pourrons trouver le bon rythme qui va permettre de tendre vers une vraie vision agile.
Et pour en revenir au thème de cette 21ème rencontre Z. Marouf, s’est également intéressé au livre « Entreprises : retrouver le temps pertinent » de Bruno Mettling, publié en 2014, qui considère que les entreprises sont à la poursuite d’objectifs de plus en plus centrés sur le court terme, dans une course à la profitabilité quasi immédiate qui se fait au détriment d’une vision de long terme. Bruno Mettling challenge chaque entreprise à retrouver son équilibre entre temps long et temps court, entre performance économique et qualité sociale.
Finalement, ce temps pertinent passe par une prise de conscience collective mais pour une transformation en profondeur, le secret réside dans l’équilibre entre actions de court terme et long terme. C’est en concluant par ce vieux proverbe chinois « si le meilleur moment pour planter un arbre c’était il y a 20 ans, le deuxième meilleur moment c’est maintenant » que Z. Marouf nous appel à l’action. C’est donc, ici et maintenant, que nous allons explorer la thématique de cette 21ème Rencontre à travers le témoignage de plusieurs entreprises.
SIRH: Le temps de la révolution digitale, Séverine Blanchard – Airbus
Dans le cadre de la 21ème Rencontre de l’Observatoire des Réseaux d’Entreprise sur le thème : “ Transformation Digitale, à la recherche du temps pertinent ”, nous avons eu la chance de découvrir le retour d’expérience de Séverine Blanchard, Head of HR digital auprès d’Airbus. Son intervention a porté sur le SIRH à l’aune des enjeux de la transformation digitale.
Elise Bruillon, administratrice au sein de l’Observatoire, ouvre cette interview en citant Saint-Augustin : « le temps est formé du passé qui n’existe plus, du futur qui n’existe pas encore et de l’instant présent qui est la limite entre ces deux mondes irréels. » Pour les humains que nous sommes, le paradoxe réside dans la tentation de saisir cet insaisissable, tout en étant plongé continuellement dans son abstraction. Est-ce que le temps serait une réalité optimisée pour Airbus ?
Pour ce pionnier puis leader du secteur aéronautique avec 67 Milliards de revenus, 140 000 salariés, 35 pays, 180 sites, le temps semble être -avant tout- une expérience subjective. Le temps serait-il une condition universelle et nécessaire à toute forme de connaissance comme le soutien Kant ? Pour tenter de fournir quelques éléments d’éclaircissements, Elise Bruillon a interrogé notre invitée pour qu’elle puisse partager son retour d’expérience.
En guise de préambule, Séverine Blanchard nous a expliqué que l’accélération portée par la révolution digitale impose une forme d’instantanéité ; ainsi il est souhaitable de replacer l’être humain au cœur de son écosystème. Afin de préciser le contexte, Séverine Blanchard explicite la démarche du programme « Pulse » de transformation digitale du groupe et plus spécifiquement la méthodologie mise en œuvre au niveau RH « réinventer notre manière de travailler » qui s’articule autour de 4 briques majeures :
- Simplification des processus
- Empowerment
- Responsabilisation
- Collaboration
Dans la pratique, Airbus s’est engagé dans une logique de SIRH en implémentant des plateformes en « SAaS » et en utilisant les outils connus du marché comme « Work Day » ou la suite Cornerstone pour la formation. Ces outils amènent de la valeur à l’entreprise, par exemple sur le domaine de la formation, Airbus a la capacité de délivrer (quasi en instantané) de la formation, toutefois pour la bonne appropriation de ces systèmes, il est important de travailler sur l’appropriation de ces outils par tous les collaborateurs du groupe.
Séverine Blanchard a souhaité mettre en exergue 3 éléments clés tirés de son expérience chez Airbus depuis un an. Il convient de :
- Respecter le rythme de la négociation sociale
- Poursuivre la rationalisation et la simplification des process
- Laisser du temps au temps
Elle souligne également l’importance du choix méthodologique pour entreprendre ces actions. Chez Airbus, on expérimente des méthodes agiles sur des projets en remettant le client au cœur des préoccupations, ce qui peut contribuer au succès aujourd’hui. Le plus important ce n’est pas uniquement la gestion du temps mais celle du client. Elle insiste par ailleurs sur l’enjeu qui se fait jour autour du « People Analytics » dans un contexte de renforcement de la réglementation européenne ; l’acculturation des collaborateurs aux bonnes pratiques en matière de manipulation des données et le travail de concert avec les partenaires sociaux concernant la fixation des règles d’usage sont les points saillants d’une telle démarche.
Séverine Blanchard conclut ses propos en prenant pour métaphore la partition de musique expliquant la nécessité de parfois accepter de perdre un peu de temps pour pouvoir accélérer ensuite afin d’obtenir le résultat attendu.
Orchestration ministérielle et transformation numérique, Valérie Dagand – Ministère des Armées
Pionnière de l’internet et experte en transformation numérique, Valérie Dagand travaille depuis plus de vingt ans à la définition de stratégies digitales et au pilotage de grands projets de transformation numérique. Elle a rejoint le ministère des Armées depuis le mois d‘avril 2018 en tant qu’adjointe en charge de l’orchestration ministérielle de la transformation numérique du ministère, au sein de la Direction Générale du Numérique (DGNum).
A l’occasion de la 21ème Rencontre de l’Observatoire, Jean Daries, Administrateur, a eu le plaisir de l’interviewer. Cet entretien a été l’occasion pour notre invitée de revenir sur sa mission d’orchestration ministérielle et sur ce projet de transformation numérique au sein du ministère des Armées.
Après avoir travaillé pour des grands groupes comme Monoprix, PPR, Aéroports de Paris ou Vinci Autoroutes, Valérie Dagand a rejoint le ministère des Armées, qui compte près de 300 000 salariés, plus de 200 métiers allant de l’aéronautique jusqu’à la santé (des hôpitaux, de la logistique, de l’hospitality, du soutien, de l’IA…). Tout cela nécessite d’orchestrer un nombre important d’acteurs, et de donner du sens à la transformation digitale. Cette mission d’orchestration ministérielle implique de gérer les rythmes mais aussi d’assurer la coordination pour instaurer de la cohérence et installer, à terme, un système de mutualisation. Notre invitée mène sa mission au sein de la Direction Générale du Numérique (DGNum), unique au sein des ministères, qui a été créée en 2018. Cette nouvelle direction est l’émanation d’une Direction générale des systèmes d’information et de communication (DGSIC), et a pour mission d’orchestrer la transformation numérique et de renforcer la gouvernance de la fonction SI du ministère des Armées.
Depuis 2017, cette orchestration a été menée de front sous l’impulsion de Florence Parly, Ministre des Armées, qui a engagé de nombreux chantiers de transformations au sein du ministère. Cette orchestration de la transformation numérique s’est traduite tout d’abord par la rédaction d’une ambition numérique puis d’un schéma directeur rédigé de concert par les trois grands subordonnés : l’EMA (l’État-Major des Armées), la DGA (armement) et le SGA (qui sont les métiers du soutien).
Érigée par la ministre, cette ambition numérique porte trois objectifs :
- La supériorité opérationnelle des forces armées,
- Le soutien ou la « User Experience » pour améliorer l’expérience des personnels des armées,
- L’attractivité du ministère en tant qu’employeur.
Pour concrétiser cette ambition, le schéma directeur de la transformation numérique (SDNUM) inclut six « axes socles » permettant de créer les conditions de réalisation de cette transformation : déployer de nouvelles technologies, organiser l’innovation numérique, maîtriser l’ouverture des données pour mieux les valoriser, rénover le système d’information, développer l’acculturation et les compétences numériques et assurer une veille technologique et numérique.
Ces axes permettent, aujourd’hui, de passer à une déclinaison opérationnelle du plan de transformation numérique et constitue un socle fondateur des défis à relever. Plus connu sous le nom de « Defense Connect », ce plan de transformation numérique du ministère des Armées reprend l’ensemble des chantiers de la DGNum.
Par ailleurs, pour réussir sa transformation digitale, le ministère devra livrer des services numériques rapidement, de façon efficiente et couvrant l’ensemble des domaines. Ainsi, la réalisation des projets de service numérique passe par davantage d’agilité. Autre nouveauté pour accueillir de nouveaux projets, la création d’une Fabrique Numérique. Elle est constituée d’une équipe, le commando numérique qui accompagne les porteurs de projet du ministère selon la méthode agile. Il est composé de plusieurs experts pour accompagner les porteurs de projets dans ces nouvelles méthodes de travail :
– Un UX Designer qui aide à concevoir le produit pour et avec l’utilisateur final ;
– Un Data Analyst qui fait parler les données disponibles ;
– Un Product Owner, qui fait le lien entre l’utilisateur final et le projet ;
– Un Coach Agile, qui va prendre le rôle de formateur au méthode agile, de facilitateur, de coach du projet.
Lorsqu’il s’agit de prendre le tournant de la révolution numérique au sein du ministère des Armées, Valérie Dagand identifie 3 enjeux majeurs:
- Le 1er est un enjeu d’industrialisation, nécessaire pour que ces transformations numériques soient véritablement à l’échelle du ministère.
- Le 2ème enjeu concerne une nouvelle culture digitale et data qui doit amener davantage de transversalité, d’agilité dans les process, et permettre aux gens de travailler ensemble ainsi que de monter en compétences.
- Le 3ème enjeu est la guerre des talents, qui devient une réalité et nécessite de mettre en place des processus afin d’identifier les talents et attirer de nouvelles expertises (des data scientist, des développeurs …)
Aujourd’hui, l’un des challenges est de réussir à tout simplifier pour travailler en transverse et faire en sorte que la communauté de porteurs de projets arrive à travailler ensemble. Parmi de nombreuses réussites, notre invitée cite la création d’un « board numérique » qui fédère toute la communauté des Chief Digital Officer (CDO) pour l’ensemble des parties prenantes, ou des responsables numériques qui pour la première fois vont commencer à partager leurs feuilles de route.
Loin des a priori sur l’univers fermé de l’armée, Valérie Dagand n’a pas connu de difficultés, en tant que femme, lorsqu’elle a découvert le monde des armées, ouvert vers l’extérieur. D’ailleurs, le « Cercle Défense Connect » nouvellement créé vise à associer la société civile à la transformation du ministère par des retours d’expérience. Ce cercle permet de réunir, une fois par mois, plus de 16 hauts dirigeants de la société civile, de grands groupes (EDF, ENGIE, La Poste, SNCF, Crédit Agricole, Etc.) qui ont des retours d’expérience intéressants en matière de transformation numérique. L’ouverture, les témoignages et le partage de bonnes pratiques font partie de l’ADN du ministère des Armées.
L’esprit start-up, une transformation perpétuelle, Alexandre Collinet – Leboncoin
Leboncoin s’est imposé comme le leader français des petites annonces face aux mastodontes du secteur. Une success-story, résumée en quelques chiffres : 27 Millions de français qui consultent le site chaque mois, 6ème site le plus consulté en France, une croissance fulgurante, leader en emploi, immobilier et en automobile, près de 900 collaborateurs en 2019 avec une moyenne d’âge de 32 ans. Pour comprendre le fonctionnement de cette jeune entreprise à l’esprit start-up et en transformation perpétuelle, Manon Enoc, Administratrice de l’Observatoire, a accueilli Alexandre Collinet, Directeur Général Adjoint de l’entreprise leboncoin à l’occasion de cette 21ème Rencontre.
Entrée au palmarès Great Place To Work en 2012, l’entreprise est reconnue pour sa qualité de vie au travail (locaux, services, modèle organisationnel) ; elle veille chaque jour à la maintenir grâce à différentes initiatives d’accompagnement et avec une bienveillance qui anime son quotidien.
Alexandre Collinet éclaire la réussite, autant interne qu’externe de son entreprise et souligne l’importance de « la cohérence nécessaire entre l’image que les utilisateurs ont de notre site et nos valeurs». Des valeurs fondatrices (proximité, engagement, pragmatisme et créativité) qui sont véritablement le tuteur de l’entreprise. Elles l’aident à grandir et à se structurer. Elles ont été choisies et adoptées quand leboncoin comptait 2 salariés et restent quasi inchangées dans ce groupe qui réunit aujourd’hui près de 900 collaborateurs.
Ces valeurs ne sont affichées nulle part, ce serait inutile car elles sont vécues au quotidien. Elles sont incarnées individuellement par chaque collaborateur, elles font partie de leur personnalité et c’est un point de vigilance lors des recrutements. Elles s’expriment aussi dans la façon d’exercer son métier. Ces valeurs sont, aussi, cohérentes avec les espaces de travail. Alexandre Collinet précise qu’ils ont adopté pour leur siège un fonctionnement « en environnement dynamique » : aucun collaborateur n’a de bureau fermé, ni de place attitrée. À chaque jour, un voisin différent, un point de vue nouveau. C’est le partage de ces valeurs qui fait son succès, et permet au boncoin de se développer tout en gardant son esprit start-up et son agilité.
Pour les entreprises digitales comme leboncoin, cette culture du changement et d’adaptabilité sont les facteurs-clés de succès. A travers d’autres exemples concrets, Alexandre Collinet explique comment ce rapport au changement s’illustre : « En 2015, les usages des internautes ont basculé, en passant de 30% à 70% en moins de 2 ans sur le mobile ; ce qui a généré un changement de business model pour nous. Une des solutions a été de passer de la mise à niveau des roadmaps produits à une mise à niveau des parcours mobiles et applicatifs. Toute l’entreprise s’est impliquée pour réaliser ce changement rapidement et efficacement. »
Cette ouverture d’esprit des équipes face au changement fait du boncoin une entreprise adaptée à un marché toujours en mouvement. Cultiver et faciliter cette culture du changement passe aussi par des lunch dating organisés par les RHs pour favoriser la rencontre entre collaborateurs, des organisations internes qui changent tous les ans…
Afin de conserver une agilité à grande échelle, notre invité s’est appuyé sur le modèle de Spotify notamment pour son fonctionnement collaboratif et ses équipes pluridisciplinaires. Une organisation agile se doit aussi de laisser de l’autonomie à l’ensemble des collaborateurs et les responsabiliser. Alexandre Collinet insiste aussi sur le rôle des managers intermédiaires. Il revient sur la nécessité pour le management d’être intransigeant sur la culture et les valeurs de l’entreprise, cadre de référence des collaborateurs.
En somme, « ce qui se voit à l’extérieur, se vit à l’intérieur : une entreprise responsable, investit et utile pour les Français. »
Manager et IA, quelle cohabitation? Cécile Dejoux – professeur à l’ESCP-Europe et au Cnam
Nathalie Brousset, Administratrice de l’Observatoire, a accueilli sur scène Cécile Dejoux, star mondiale des cours en ligne avec ses MOOC (Massive Open Online Course) à succès sur le management, professeur à l’ESCP-Europe et au Cnam. Elle a lancé le 1er MOOC autour du manager « du manager au leader » avec plus de 200 000 participants dans plus de 148 pays et une deuxième saison est en cours. En tant qu’experte de la gestion des talents et du digital learning, cette interview a permis de décrypter le futur marché de la formation professionnelle.
Notre invitée a commencé par un constat général, aujourd’hui chaque entreprise dispose d’un rythme de formation qui lui est propre. En effet, les pratiques vont différer en fonction des secteurs d’activité, de la taille de l’entreprise, et/ou de la stratégie. Cécile Dejoux a également partagé ses perceptions sur les grandes tendances de la formation professionnelle en s’appuyant sur des observations, et des thèses de la chaire « le learning lab ».
Pour notre invitée, la formation a connu 3 évolutions majeures à l’ère du numérique:
– La digitalisation du contenu : le passage des formations à distance aux formations numériques a permis aux entreprises de créer de nouvelles façons de se former en ouvrant leur LMS ou système de formation vers l’extérieur avec des MOOC.
– Un écosystème de « Blended Learning » : cet écosystème permet de retrouver à la fois des formations en distanciel et en présentiel. C’est une nouvelle façon de réinventer le présentiel pour en faire un présentiel intelligent, complémentaire et différent.
– L’émergence des « écosystèmes d’apprenance » : l’idée est de créer des écosystèmes de « Blended Learning » dans lesquels on travaille avec d’autres entreprises pour tester de nouveaux sujets.
Face à ces évolutions, plusieurs points de vigilance sont à prendre en considération notamment pour l’apprenant. Actuellement dans les entreprises, nous vivons une période de massification de production de contenu. Les collaborateurs ont envie de tout faire mais ils n’ont pas le temps car il y a trop de contenu ! L’autre problème, c’est le temps de l’apprentissage qui est différent du temps de l’écoute. Apprendre, c’est réutiliser ce que l’on a appris dans un autre contexte (dans les 3 jours ou dans les 3 mois qui suivent la formation) mais c’est un effort très personnel et dense de réappropriation. Aujourd’hui, ce qui parait essentiel dans le entreprises c’est de donner aux collaborateurs le temps de réutiliser ce qu’ils ont appris.
Cécile Dejoux révèle également les principaux points d’attention pour les responsables de la formation :
– L’ancrage mémoriel : il est nécessaire de s’interroger au préalable sur ce temps d’apprentissage, la façon dont les collaborateurs vont réutiliser ce qu’ils ont appris, comment l’évaluer…
– L’Intelligence Artificielle (IA) : L’IA implique des changements dans les business, les produits, les solutions, et les métiers. Il faut donc expliquer ce qu’est l’IA, comment l’entreprise l’intègre dans sa stratégie et comment la mettre à porter de tous. Le vrai sujet ici, c’est de réussir à acculturer les collaborateurs à cette disruption et de donner la possibilité aux collaborateurs de réinventer leurs métiers.
Si en France les MOOC ont connu un essor considérable depuis leur émergence, en pratique il existe des clés pour réussir un MOOC et pour prendre le virage de la formation digitale en entreprise:
- Réaliser un MOOC ce n’est surtout pas dispenser un savoir existant mais c’est plutôt un levier de création de connaissance, un véhicule pour rendre compte de ce qui se passe dans les entreprises et dans le monde sur l’évolution managériale. Pour Cécile Dejoux, le MOOC implique aussi la nécessité d’aller « picorer la connaissance, la partager avec les communautés pour en tirer le meilleur profit ».
- Réaliser un MOOC, c’est aussi expérimenter une nouvelle façon de former et de créer de la connaissance différemment. Cela peut se traduire par la participation de start-ups, qui vont apporter de nouvelles expériences pour se former.
- A titre d’exemple lors de la création du MOOC sur « l’IA pour les managers », qui explique au travers d’études de cas comment l’IA transforme les entreprises en France, aux États Unis et en Chine, une start-up a mis en place le 1er chatbot de learning.
Finalement, le MOOC ce n’est plus seulement un format vidéo, mais cela peut aussi se traduire par d’autres formats. Avec le chatbot qui délivre du contenu en fonction des questions, c’est l’occasion de faire du forum interactif en temps réel, c’est aussi une nouvelle façon de communiquer, et de créer du rich média pour plus d’interaction.
En outre, si on veut que demain les personnes puissent évoluer sur de nouveaux métiers de l’IA, il faut au préalable leurs permettre d’apprendre à travailler en transversalité et leurs donner la capacité de développer de nouvelles compétences : la collaboration et l’intelligence collective, nouvelle responsabilité managériale.
En conclusion de son intervention, Cécile Dejoux est revenue sur la création de son MOOC, dans lequel elle est allée interviewer des start-ups et des entreprises sur la façon de travailler avec des hommes et demain des machines, pour créer de l’intelligence collective. Cette intelligence collective permettra à l’homme de créer de la performance mais surtout de rester maitre de la machine. Et demain, pour continuer à être au cœur de la formation, Cécile Dejoux lance, avec « le learning lab », la 1ère chaine YouTube pour continuer à apprendre tous les jeudis à travers le témoignage de dirigeants sur l’impact du numérique et qui s’appelle les « jeudis de Cécile ».
Réseau social d’entreprise, communication et collaboration, Hervé Gonsard – Banque de France
Le défi de la transformation digitale et le rapport au temps, voilà un enjeu lourd et d’actualité pour beaucoup d’entreprises. A l’occasion de cette 21ème rencontre, Sophie Delmas, administratrice de l’Observatoire, s’est intéressée à la transformation digitale de la Banque de France, une institution de plus de 200 ans et qui a été fondée par Bonaparte en 1800. Comment la Banque de France fait-elle sa mue digitale et comment cela s’inscrit-il dans le temps ? Pour parler de cet enjeu RH, elle a eu le plaisir d’interviewer Hervé Gonsard, Directeur général des Ressources Humaines à la Banque de France.
Hervé Gonsard a commencé par rappeler le rôle de la Banque de France, composante de l’Eurosystème et que la création de la Banque centrale européenne (BCE) n’a pas fondamentalement remise en cause. En effet, la Banque de France est une institution plus que bicentenaire mais c’est aussi une entreprise qui se réforme et se ré- invente. Elle a, en fait, une nature hybride : c’est à la fois une institution de la République, qui rend des services aux particuliers, aux entreprises, au système financier, tout en constituant une composante de l’Eurosystème associée à la définition de la politique monétaire de la zone euro dont elle assure la mise en œuvre en France. Elle a, comme le dit le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, « la tête en Europe et les pieds dans les territoires français ».
Les missions de la Banque de France
Les trois grandes missions de la Banque de France se résument par une formule mémotechnique, celle des « 3S »:
– Stabilité monétaire : aujourd’hui, c’est le Conseil des Gouverneurs de la BCE qui prend les décisions de politique monétaire mais c’est bien la Banque de France qui les met en œuvre dans notre pays. Si, une banque française a besoin de liquidités, elle ne va pas les chercher directement à la BCE mais à la Banque de France. Et par ailleurs, la Banque de France continue également de fabriquer et d’imprimer des billets en euros pour le compte de l’Eurosystème.
– Stabilité financière : avec l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui lui est adossée, la Banque de France assure le contrôle des banques et des assurances. Elle veille aussi à la stabilité globale des systèmes financiers français et européen, en participant notamment au Comité de Bâle, qui fonctionne sous l’égide de la Banque des Règlements Internationaux.
– Services à l’économie : services aux banques, par la normalisation et la gestion des systèmes de règlement, services à l’État (banquier du Trésor), services aux entreprises (réalisation de diagnostics financiers et cotation des entreprises), services aux particuliers (secrétariat des commissions de surendettement, notamment).
Transformation digitale et gestion du temps
Même si la Banque de France ne connaît pas de pressions commerciales, elle n’est pas hors du temps puisqu’elle a des partenaires comme les banques, les compagnies d’assurances, l’État, les particuliers, les entreprises, qui évoluent avec la révolution digitale. La Banque de France ne peut pas ne pas accompagner le mouvement, elle doit même le précéder, autant que possible. Hervé Gonsard est également revenu sur la nécessité pour la Banque de France de continuer à offrir un service public de haute qualité, qui est un élément de compétitivité, et d’être dans cette optique un leader de la révolution digitale pour maintenir son magistère vis-à-vis de ses partenaires, et en même temps continuer à donner du sens aux activités de ses agents.
En tant que DRH, la formation et le développement des compétences constituent une composante importante de la politique de ressources humaines, qui s’inscrit dans le temps long. C’est aussi un véritable levier de transformation pour rendre la Banque plus performante, plus innovante et plus agile. Face aux évolutions digitales des marchés financiers, les objectifs essentiels de notre invité est de veiller à ce que les compétences des collaborateurs correspondent aux besoins des métiers de la Banque et à ce que cette dernière demeure attractive auprès des étudiants, futurs collaborateurs.
La Banque de France entend rester attractive pour les femmes et les hommes qui y travaillent, et favoriser le développement de leurs qualifications et le maintien de leur employabilité avec notamment la création de l’Université́ Banque de France. Hervé Gonsard a insisté sur la création de deux écoles de cette université d’entreprise, celle du Digital et celle du Management, pour accompagner les salariés mais aussi les managers tout au long de cette révolution digitale.
A court terme, d’autres projets ont été mis en place pour accompagner la transformation digitale de cette institution :
– Il y a 4 ans, la Banque de France a mis en place un réseau social d’entreprise (Agora), qui compte 9500 membres sur 12 000 agents, avec une connexion régulière d’au moins 3000 membres. La nouvelle activité d’éducation financière du public, récemment apparue et qui a pour objectif de donner à tous les publics les clés de compréhension des débats économiques a pleinement tiré parti du réseau, car c’est dans l’une de ses communautés que se sont retrouvés les formateurs pour partager leurs pratiques et leurs supports d’intervention.
– En juin 2017, elle a également ouvert le « Lab », son Laboratoire d’innovation. Le « Lab » est un espace de rencontre ouvert et de travail collaboratif, il associe la Banque de France à différents porteurs de projets innovants – start-ups et Fintechs, acteurs institutionnels, grandes écoles et université – en vue d’expérimenter de nouveaux concepts et des technologies novatrices, en lien avec les activités de l’Institution. Le « Lab » est aussi un lieu d’anticipation pour préparer la Banque à l’évolution de ses métiers. Conçu comme un accélérateur d’innovations, le Lab a pour objectif d’accompagner la Banque de France dans sa transformation digitale, mais aussi de tester et développer des solutions qui s’appuient sur des technologies innovantes, telles que la blockchain (la Banque de France est la première banque centrale de l’Eurosystème à l’avoir expérimentée) et l’intelligence artificielle.
– La Banque de France offre un accès gratuit aux données statistiques. Elle souhaite développer et mieux partager l’exploitation des nombreuses données (plus de 400 millions de séries statistiques) qu’elle collecte et analyse dans le cadre de ses activités. Elle les ouvre plus largement aux utilisateurs externes, via l’Open Data Room, destinée notamment aux chercheurs.
Pour Hervé Gonsard, il est important « que la Banque de France évolue mais qu’elle ne perde pas son âme. » Il faut donc veiller à ce qu’elle reste en phase avec ses partenaires tout en gardant son attachement aux valeurs humaines et citoyennes qui sont les siennes depuis très longtemps.
Mutations digitales et dialogue social, Gabriel Artero – CFE-CGC
Les entreprises tentent de se réinventer à mesure que s’accélère leur mutation digitale. Qu’en est-il des partenaires sociaux et du temps du dialogue social ? Vincent Berthelot ouvre le sujet en invitant Gabriel ARTERO, Président de la Fédération de la Métallurgie CFE-CGC.
Vincent Berthelot, administrateur de l’Observatoire, commence par retracer l’actualité sociale de ces derniers mois sur les réseaux sociaux, du #pasdevague relatif à l’éducation nationale au mouvement des gilets jaunes, avant d’en revenir aux défis et aux différentes problématiques rencontrées par les organisations syndicales.
Gabriel Artero apporte des éléments de réponses et remet en perspective le sujet en précisant que « le temps du social n’est pas le temps du politique ». Il rappelle deux éléments qui lui semblent fondamentaux : l’écoute et la confiance. Il est nécessaire de prendre le temps pertinent pour recréer les conditions du dialogue social et sortir d’une crise sociale.
En effet, les mutations digitales affectent de façon croissante les entreprises dans tous les secteurs. Elles engendrent des transformations variables selon les activités (nouveaux modes de travail, flex office, télétravail…). Dans ce contexte, les organisations syndicales se transforment aussi et leur rôle consiste à accompagner cette transformation digitale des entreprises et à s’assurer que cette mutation s’opère avec les hommes et non à leur détriment. Cette transformation digitale des entreprises exige « un temps de gestation qui est totalement déterminant » pour parvenir à les appréhender.
Dans la pratique, toutefois, cette ambition se heurte à de nombreux freins : les organisations syndicales sont parfois considérées comme illégitimes pour s’emparer de ces questions. Comment lutter contre la désintermédiation et l’ubérisation des syndicats? Il y a tout un dialogue social à réinventer. Le dialogue social est un outil au bénéfice de la transformation digitale dans les entreprises mais « il a un coût » précise Gabriel Artero.
Il alerte ensuite sur une tentation dangereuse celle de vouloir se passer des corps intermédiaires Or, ces derniers sont capables de recevoir signaux faibles et les présenter. Par ailleurs, il faut accepter que le temps du social n’est pas le temps du politique ni le temps du business mais il est important d’essayer d’harmoniser les deux temps.
Face à la transformation numérique en cours, avec l’intelligence artificielle (IA) et plus largement la « robolution », les partenaires sociaux n’ont pas d’autre choix que de se réinventer. Ils doivent apprendre à anticiper collectivement les évolutions futures. Pour notre invité, « c’est évident que les formes de travail changent, mais personne ne sait aujourd’hui si l’IA va générer plus d’emplois qu’elle ne va en détruire. Si on se projette dans l’industrie et qu’ on associe la blockchain à l’IA, certains considèrent que c’est un détonateur plus violent que le nucléaire qui nous amènera à repenser tous les business models ».
En outre, les organisations syndicales s’appliquent aussi ces transformations, avec l’utilisation de vidéos d’e-learning pour cibler efficacement et rapidement un grand nombre de personnes ; sans pour autant craindre de disparaitre. Et enfin si l’innovation est continue, le dialogue social doit l’être aussi.
Table ronde : Regards croisés sur la formation, Stéphanie RICCI – AXA et Nicolas ROLLAND – ENGIE
Franck la pinta, administrateur de l’Observatoire, s’interroge et questionne ses deux invités sur le rapport entre la formation et le temps à travers trois axes :
– Les nouvelles technologies au service de la formation viennent-elles bousculer ce rapport au temps : « le Rapid-Learning, quelle promesse derrière cette notion ? De la rapidité dans la conception ? De la rapidité dans la consommation ? Peut-être aussi de la rapidité dans l’oubli ? »
– L’obsolescence de plus en plus rapide des compétences, elle était de 25 ans en 1980 et est aujourd’hui de 5 ans.
– Le temps disponible des collaborateurs pour se former, la formation arbitrée à côté des urgences, des priorités quotidiennes et opérationnelles.
Afin d’éclairer ce sujet, nous avons réuni, Stéphanie RICCI, Group Chief Learning Officer chez AXA et Nicolas ROLLAND, Head of Engie University à l’occasion de la 21èmeRencontre de l’Observatoire.
Pour Stéphanie Ricci, le constat est clair, les collaborateurs sont sur-sollicités et leur temps disponible est contraint : is disent ne pas avoir le temps de se former. Mais le temps n’est pas le véritable ennemi, du moins pas le seul. Derrière cela se cache une question de priorité. Cette priorité se doit d’être clairement affichée par l’organisation, et elle devrait être partagée entre une organisation et ses collaborateurs.
Si l’entreprise vise à développer les compétences de ses collaborateurs afin de les mettre en mesure de succès, pour préparer leur avenir, et les aider dans leur employabilité (interne ou externe), elle doit en faire un sujet de priorité. Une organisation doit permettre à l’ensemble de ses collaborateurs de prendre du temps pour se former régulièrement et cela ne se fait pas encore naturellement.
Aujourd’hui, la formation change radicalement, elle s’oriente de plus en plus sur une fonction qui doit créer une vision, qui doit la communiquer, impulser un changement, l’accompagner, le comprendre, tout en mobilisant l’ensemble de l’organisation, de l’entreprise. Il ne s’agit pas d’un sujet RH, c’est un sujet qui doit appartenir à tout le monde, aussi au plus haut niveau de l’entreprise.
En ce qui concerne les enjeux de la formation chez AXA, l’ambition n’est plus uniquement de mettre à disposition des cours mais de créer une culture au sein de l’organisation autour du « Learning », de bâtir un « learning mindset » ou une culture de « continuous Learning » ; à savoir la capacité d’apprendre continuellement. Chez AXA nous défendons l’idée de nourrir l’appétit d’apprendre en permanence, que chaque collaborateur possède de manière innée. L’idée est de batir un écosystème, culturel, managérial, technologique qui puisse permettre et favoriser d’une part la prise de conscience et d’autre part la nécessité d’apprendre continuellement.
Pour notre intervenante, en matière de formation, il existe différents niveaux d’attentes pour un collaborateur :
- Créer les opportunités pour apprendre « in the flow of work » et tout au long de la semaine de travail, et pour y répondre, il faut offrir entre autre des formats courts
- Créer les conditions de l’entreprise apprenante, passer du modèle « push » au modèle « pull », et « on demand »
- Parvenir à donner de la valeur à l’acte d’apprendre
D’ailleurs, une des actions phares de l’an dernier a été le lancement des « AXA Learning Games » qui ont duré cinq semaines. Il s’agit d’une série de challenges sur une application digitale dans laquelle nous avons recréé notre écosystème gamifié, avec des contenus d’intérêts et de profondeur à destination de l’ensemble de nos collaborateurs.
Le témoignage de Nicolas Rolland,Head of Engie University, insiste sur l’importance d’agir sur les temps courts et les temps longs en formation. La nécessité de l’ancrage et la capacité d’absorption des collaborateurs qui sont des dimensions à prendre en compte.
Par exemple, si on souhaite permettre aux collaborateurs de devenir des « data scientists » ou des techniciens de maintenance des éoliennes, pas sûr qu’ils pourront atteindre cet objectif sur les deux jours qu’on leur laisse de disponible.
La formation, le Learning et l’apprentissage demandent du temps. Lorsque l’on confronte ce temps au rythme des organisations et à l’accélération des rythmes du changement dans la plupart des organisations, nous devons être en mesure de s’adapter à ces rythmes et de proposer des modalités de formation différentes. Et le principal risque identifié par notre intervenant, c’est de vouloir tout apprendre sur un sujet alors que l’objectif, aujourd’hui, c’est de pouvoir proposer des contenus adaptés.
Ensuite, Nicolas Rolland a cité 4 enjeux clés pour les équipes de formation :
- Adapter le contenu aux changements que vivent les entreprises
- Diversifier les modalités d’apprentissage
- Personnaliser de l’offre de formation
- Créer la culture du Learning
Ces enjeux permettront de créer, de générer et de faire perdurer l’envie d’apprendre.
Concernant l’attractivité des candidats, Nicolas Rolland précise que la promesse de l’entreprise qui consiste à faire grandir les collaborateurs qui intègrent une entreprise est plutôt une tendance du marché. L’entreprise doit aujourd’hui entrer dans cette logique et être un vrai levier d’attractivité des candidats. Il faut continuer à organiser des formations en présentiel en campus éphémères, ce sont ces formats qui sont les plus valorisés même vis-à-vis des candidats externes car ils sont des moments de rencontre et d’apprentissage collaboratif.
Chez Engie, 51 % des formations sont des formations digitales contre 49% en présentiel. Pour autant, décentraliser la formation au plus près du terrain reste pour notre invité un véritable enjeu. C’est pourquoi, des campus éphémères « Ucamp » d’une semaine ont été créés. Pendant cette semaine les collaborateurs peuvent suivre plus de 20 programmes de formation en journée et à partir de 17h00 des « marketplaces », des sessions de Q&A avec les membres du Comex et des « escape games » sur la révolution énergétique.
Conclusion de la 21ème Rencontre, Bruno Mettling – Orange
Le thème de cette rencontre, « Transformation Digitale, à la recherche du temps pertinent » n’a pas été choisi au hasard. En effet, en 2015 sortait le rapport Mettling sur la transformation numérique et la vie au travail. Au cours de cette 21ème édition, nous avons pu faire un état des lieux des avancées des changements venus bouleverser le travail. En conclusion de cette journée, nous avons eu le plaisir d’accueillir comme grand témoin l’auteur de ce rapport: Bruno Mettling. Après avoir longuement fréquenté la fonction publique et le monde de l’entreprise privée, Bruno Mettling est aujourd’hui Président d’Orange Afrique/Moyen-Orient ainsi que jeune entrepreneur.
Sur la base du rapport intitulé « Transformation numérique et vie au travail », remis à la ministre du travail le 15 septembre 2015, Bruno Mettling nous a dressé un bilan contrasté tout en partageant sa vision, lors d’une interview avec Sylvie Joseph, administratrice de l’Observatoire.
État des lieux, 3 ans après le rapport Mettling
Pour notre grand témoin, plusieurs idées sont à retenir:
- Tout d’abord, une des forces de ce rapport a été de s’appuyer sur des groupes d’experts. C’est cette intelligence collective qui a permis de pointer aussi bien les aspects positifs du numérique (plus de collaboratif, plus d’efficacité, plus d’agilité…) que les risques du numérique dans les entreprises et organisations. Si le numérique est l’occasion de repenser nos entreprises à travers leur cloisonnement, leur verticalité, l’affaiblissement des collectifs professionnels… c’est aussi l’occasion de pointer les risques du numérique sur la situation des salariés au travail.
- La 2ème idée réside dans le fait que les partenaires sociaux doivent absolument croiser les experts du numérique pour anticiper les conséquences de cette transformation. Bruno Mettling précise qu’ « il y a 3 ans, nous étions beaucoup moins riches dans la compréhension de ce qui se passait notamment dans la fonction RH ». Or, celle-ci porte les enjeux des hommes et des femmes de l’entreprise et doit être au centre de cette transformation numérique.
Le numérique, un effet d’accélération
D’abord dans ce qui est positif, le numérique a considérablement progressé dans l’entreprise. Bruno Mettling a souligné l’impact fantastique du numérique sur le développement du continent Africain.
Autre impact positif, l’essor de l’Intelligence Artificielle (IA) qui est de plus en plus utilisée en entreprise à travers la relation client et qui a entrainé un effet d’accélération de cette transformation numérique. Cependant, Bruno Mettling rappelle que l’IA n’est pas encore fortement présente dans la vie interne de l’entreprise et de ses fonctions. Aujourd’hui, il serait intéressant de reprendre le rapport Mettling « Transformation numérique et vie au travail» à l’aune de l’IA, pour en saisir les opportunités et les risques. Notre invité est convaincu qu’il existe dans les réflexions syndicales des éléments pour anticiper les conséquences de l’IA.
Mais des points de tension subsistent
Parmi les points de tension, on retrouve la relation au temps. Tout en s’appuyant sur son livre « Entreprises : retrouvez le temps pertinent », Bruno Mettling souligne qu’une entreprise va privilégier le temps court que le temps long. Or, cette dictature de l’urgence a déjà produit de « grandes bêtises » sur le plan économique. Il affirme que cette relation au temps, peut être considérée comme l’une des principales qualités ou faiblesses des dirigeants et/ou des entreprises.
- En faisant allusion aux crises sociales, Bruno Mettling a rappelé celle du groupe Orange. Au lendemain de sa plus grande crise sociale, si Stéphane Richard ne lui avait pas laissé le temps pour réaliser un diagnostic et comprendre la genèse de cette crise, il aurait été difficile de la traiter en profondeur. De plus,« si on ne se donne pas le temps de l’intelligence collective, du diagnostic partagé et de l’impact de l’IA, on va de nouveau faire face à de grands problèmes », argue-t-il.
Il existe d’autres zones de tension croissantes entre les entreprises, qui dans leurs modalités de fonctionnement ont de plus en plus recourt à des méthodes, à des outils qui renvoient à cette logique du numérique mais qui dans leurs organisations fondamentales du travail n’ont pas changées.
- A titre d’illustration, le poids du contrôle et/ou du reporting est à l’origine de tension sur la ligne managériale. Cette nouvelle façon de travailler qui demande de plus en plus d’agilité, de rapidité à la ligne managériale avec des organisations du travail qui restent cloisonnées à la hiérarchie, est un élément de tension croissant dans l’entreprise. Ces tensions peuvent entrainer un risque psycho-social qu’il faut mettre en évidence et prévenir, c’est la première responsabilité d’un DRH.
Sur le plan microéconomique, Bruno Mettling nous invite à nous intéresser à une nouvelle zone de tension propre aux collaborateurs des directions de l’informatique (soit une centaine de milliers de collaborateurs), et qui sont au cœur de cette transformation. Ces directions sont à la fois garantes de grands outils, de grands systèmes et elles sont confrontées à une vague de transformation interne considérable. Au sein des directions de l’informatique, on voit une population écartelée entre des injonctions paradoxales, entre des nouvelles méthodes agiles et un décalage en termes de compétences. Bruno Mettling considère qu’il faut réaliser un travail interne de transformation culturelle extrêmement important afin de réussir cette transformation numérique.
Ce point a été signalé au milieu d’autres comme le droit à la déconnexion, un droit que notre invité revendique. D’ailleurs, 3 ans après le rapport Mettling, une centaine d’accords ont émergé mais très peu posent la problématique de la charge de travail de certains collaborateurs, de l’organisation du travail, du dispositif d’alerte qui permet d’attirer l’attention sur la situation d’un collaborateur. Et peu d’accords tiennent compte des gains de productivité issus de la transformation numérique.
Enjeux du dialogue social
Pour Bruno Mettling, un des enjeux du dialogue social est d’accepter qu’une partie des gains de productivité, tirés de la transformation numérique, servent à accompagner les collaborateurs de manière soutenue dans la formation, l’adaptation, la création de nouveaux espaces de travail… qui sont des thèmes de négociation importants.
Alors que le dialogue social a toute sa place dans cette transformation, notre invité précise qu’il doit être revisité dans son mode d’organisation et de fonctionnement au quotidien. Il nous invite à moderniser le dialogue social, moins procédurier au profit d’un dialogue social à l’allemande. Aujourd’hui, on redécouvre, dans notre pays et dans nos entreprises, la nécessité d’avoir un « vrai » dialogue social et d’établir une feuille de route du dialogue social au service de la stratégie de l’entreprise. Mais comment faire?
Trop souvent, le dialogue social est réduit à la consultation et la négociation entre les Ressources Humaines et les Instances Représentatives du Personnel (IRP) sur les moyens. Or, pour repositionner la feuille de route social, il faut faire précéder les négociations par un véritable échange qui peut porter sur l’ambition que l’on donne au dialogue social pour les 4 prochaines années, sur la feuille de route que l’on souhaite bâtir, sur l’engagement des dirigeants pour rendre ce dialogue social plus riche et faire face aux enjeux et défis de l’avenir.
Par ailleurs, le dialogue social est d’une actualité brûlante en France, puisque le Comité social et économique (CSE) va se substituer à toutes les instances représentatives du personnel. Cette nouvelle instance de dialogue entre salariés et employeurs doit être mise en place dans toutes les entreprises d’au moins 11 salariés d’ici le 1er janvier 2020. Pour Bruno Mettling, cette transformation de nos instances peut se faire de plusieurs façons :
- Choisir de reconduire à l’identique les moyens et transformer les délégués du personnel en délégués de proximité,
- Ou attendre le plus longtemps possible et ramener ensuite les instances représentatives du personnel au minimum légal,
- Et puis il y a une autre façon, qui est clé, celle de construire ensemble cette feuille de route sur l’accompagnement de la transformation du dialogue social.
Un nouveau challenge, Topics
Organisé autour de Bruno Mettling ainsi que des expertises de Siaci Saint Honoré et du groupe Havas, Topics a été créé pour proposer une offre innovante aux entreprises et à leurs dirigeants. Avec une activité, placée sous la direction de ce dernier, axée sur trois enjeux majeurs : la transformation digitale, la transformation sociale et la modernisation du dialogue social.
Aujourd’hui, Bruno Mettling souhaite redonner du temps pour accompagner les entreprises autour de ses obsessions qui sont l’accompagnement de la transformation des organisations de manière intelligente, et l’intégration des transformations numériques.
Il conclut son intervention par l’un des enjeux de transformation liés au digital: « le numérique, c’est aussi une opportunité pour reprojeter le fonctionnement de nos entreprises sur des réalités nouvelles, et pour retrouver de nouveaux équilibres qui ne vont pas offenser ce qui a été construit dans le passé. »