Analytics, Idéation et acceptabilité sociale de l’innovation par Jean-François DUROCH, Technip

Sur le sujet des analytics au service de l’idéation, Jean-François Duroch a déployé le réseau social de l’entreprise TechnipFMC. Directeur Innovation, Il s’est donc appuyé sur le RSE Technip pour réaliser une expérimentation autour d’un challenge d’idéation structuré.

L’objectif, à l’issue de cet événement / cette expérimentation mondiale, était que l’on puisse identifier 4 sujets en rupture avec ce que fait habituellement l’entreprise et de les insérer dans un programme de R&D sur plusieurs années.

Pour la direction, il a mis en avant plusieurs intérêts :

 

  • Avoir un cas d’usage permettant de démontrer la valeur d’un réseau social interne, et aussi la mise en relation, le partage de compétence et la collaboration dans l’élaboration des propositions.
  • Tester la faisabilité à toucher une large audience et donc tirer profit du digital pour éviter des ateliers en présentiel bref faire des économies d’échelle.
  • Tester l’impact en termes d’adhésion des collaborateurs à l’idéation de rupture.
  1. Méthode

Pour la structuration et le pilotage en back office, il s’est appuyé sur le méthode KCP issue de la théorie CK et établie par l’école des Mines. La mise en œuvre et le pilotage ont été réalisés en partenariat avec Stim, une start-up spécialiste du management de l’innovation de rupture avec C-K et spin-off des Mines de Paris 

Dans la génération d’idées, on a voulu inspirer les collaborateurs en leur proposant des modèles en rupture venant d’autres entreprises ou d’autres secteurs que ce soit sur le business model, les usages, la fabrication et la conception, tout le spectre d’un produit/service a été examiné.

Ex : on a présenté le business model innovant de Michelin qui consiste non plus à vendre des pneus mais une disponibilité et fiabilité au km parcouru pour des flottes transporteurs. Est-ce que ce type de modèle pourrait s’appliquer demain chez Technip à la vente de pipeline et en quels termes ?

  1. Populations adressées / organisation du challenge 

L’ensemble de la population des employés et personnels temporaires de Technip pouvait participer au Challenge toute personne en fait qui adhérait au RSE pouvait accéder librement aux échanges. C’était un point majeur de l’argumentation auprès de la direction d’ailleurs car a minima le challenge était un moyen supplémentaire d’attirer les gens vers l’usage du réseau social (« the place to be ! »)

Il s’est évidemment appuyé sur les fonctions communication corporate pour diffuser largement à travers l’ensemble du groupe une campagne de publicité co-construite en amont en faveur de l’initiative que l’on a packagé en grand challenge mondial d’innovation : « inventez le pipeline du futur ». 

MESURES ET INTERPRÉTATION DES MESURES

Si nous retenons les objectifs visés, valeur du réseau social dans l’idéation disruptive et comprendre et optimiser l’adhésion, notre intervenant a donc analyser les mesures choisies et les apports apportés par les analytics.

  1. Les critères de fond : la valeur cognitive

Chaque proposition en termes de contenu / cognitif était évaluée sur une note sur 18 basée sur les critères de l’originalité, la robustesse (mobilisation de connaissance nécessaire), le potentiel business, pertinence / cohérence par rapport au sujet, la pluridisciplinarité / transversalité.

Un second filtre appliqué à l’évaluation fut de mesurer la distance du concept proposé à la situation actuelle en termes d’identité du pipeline-produit. Sur le principe il s’agit de comprendre si l’on est proche ou si l’on s’éloigne (donc que l’on est en rupture) par rapport aux caractéristiques intrinsèques (à l’ADN si on veut faire l’analogie biologique) de ce qu’est un produit pipeline aujourd’hui.

 Le but de cette mesure ici est de juger de l’effort nécessaire à la réalisation du concept proposé : est-ce qu’en interne on dispose de l’expertise et de la capacité ou est-ce que sa réalisation nécessite des compétences que l’on devra aller chercher ailleurs ?

  1. La valeur des idées a été également mesurée à travers une analyse du profil des participants et de leur façon d’interagir : la valeur sociale ou partagée/collaborative. 

Il y avait 1500 participants segmentés de façon assez fine permettant de mesurer la diversité d’origine, de background, d’ancienneté/age, de fonction dans l’entreprise.

L’analyse scientifique des échanges nous a permis de dégager au sein de la communauté du challenge 4 types distincts.

  • Animateurs (11%): on retrouve dans cette catégories les membres de mon équipe qui animent et relancent les conversations mais pas que… : plusieurs participants se sont positionnés spontanément en soutien de cette action et ont constitué des sortes de catalyseurs de la dynamique avec un rôle très clair de diffusion et socialisation des connaissances.
  • Ambassadeurs (13%) : « ou producteurs intensifs ». au départ, il s’agit là de sachant que j’avais recruté en amont pour constituer nos relais locaux des entités importantes du groupe et aider à établir une masse critique de participants. Des profils essentiellement « middle management opérationnel » ouverts dans l’esprit à l’innovation. Là encore en cours de challenge on a vu un effet d’agrégation et d’autres personnes que nous n’avions pas identifiées dans l’organisation dans d’autres entités se sont positionnées avec ce type d’action.  Ils ont constitué un moteur important de la dynamique d’échange.
  • Participants (41%): ou « producteurs ponctuels » économes en terme de quantité de message mais particulièrement pertinents dans ceux qu’ils postent. Susceptibles d’apporter de la connaissance ciblée, bref d’important contributeurs qualitatifs.
  • Observateurs (35%): ces personnes qui a minima ont rejoint le challenge intervenaient peu avec peu d’apport de connaissance. Tout en constituant une réserve importante pour les autres profils, ils ont par leur présence indéniablement contribués à la diffusion de l’expérience au sein de l’organisation dans leurs relations sociales hors RSE.
  1. Le dernier critère d’évaluation portait sur la nature acceptable des propositions : acceptabilité sociale

 Il était important de répondre à la question : est-ce que la rupture est acceptable d’un point de vue social ?

Pour Jean-François Duroch il est très important de garantir l’acceptation sociale des idées nouvelles, voire disruptives proposées. Il faut avant tout définir la notion d’acceptabilité sociale. 
Dans le contexte de l’entreprise, quand on veut faire de la disruption, il est primordial d’assurer le caractère acceptable des propositions si l’on espère :

  1. Remporter l’adhésion de la majorité des collaborateurs,
  2. Planter la graine du changement dans les esprits,
  3. Exercer une saine et salutaire « pression » sur l’esprit d’ouverture du management qui alloue les ressources.

Si il devrait définir la notion d’acceptabilité sociale : il s’agit de la capacité de l’entreprise à s’approprier un sujet en rupture.

Dans notre cas, la culture de l’entreprise chez Technip tend à éviter les risques et donc les idées qui s’inscrivent en rupture par rapport au modèle courant établi de façon générale dans notre secteur. Il s’agit de sortir de la fixation qui bloque l’élan d’innovation.

Pour optimiser l’adhésion nous avons fait en sorte :

1) d’embarquer le plus de monde possible en pointant le doigt sur les caractères disruptifs des propositions jusqu’à les rendre parties prenantes de la sélection des gagnants ; nous leur avons donné la possibilité de s’impliquer, de faire marcher l’esprit de corps, ainsi l’adhésion et la diffusion se fait plus facilement.

2) de comprendre si les collaborateurs étaient réceptifs ou non au changement / à la nouveauté. Pour ce faire :

  • Nous avons mesuré l’intérêt des collaborateurs lors des échanges suscités par notre stimulation de connaissances ou les interrogations qu’elle générait. Ainsi sur chaque sujet nous avons étudié le nombre de « likes » et de publications liées. Nous nous sommes servis du système des « tags » pour tracker les sujets individuellement ainsi que de requêtes directes vers l’API Yammer.
  • Nous avons également mesuré le nombre d’idées générées par rapport au sujet à travers la prise de parole sur le réseau social. De ce point de vue, on a pu identifier si l’organisation dispose de connaissances sur les sujets, ou s’il s’avère que l’on manque de compétences pour les traiter. Cela dit, le fait de manquer de compétence n’est pas rédhibitoire, car on peut très bien (et c’est souvent que qui s’est passé) identifier où aller chercher ces compétences.

RÉSULTATS ET ENSEIGNEMENTS

 Dans notre dernière partie, notre intervenant dresse un bilan de son expérimentation et des objectifs atteints. 

  1. Fiabilité : il y a une corrélation entre analytics et réussite du projet

À la suite de cette expérimentation, 4 projets ont été retenus et deux d’entre eux ont été incubés. Pour l’un d’entre eux, les analytics permettaient de prédire sa réussite. Pour l’autre, la réussite a été favorisée par le bouche-à-oreille ainsi une anecdote avec notre entité brésilienne : l’esprit de corps a joué pleinement lors du vote sur les 10 finalistes disruptifs nominés en phase finale du challenge.

Toutefois ce que révèle cette anecdote ce n’est pas tant qu’une proposition est populaire, mais surtout qu’elle est socialement acceptable parce que les collaborateurs considèrent qu’elle porte de la valeur.

  1. Freins / limites

Il y a eu une initiative en amont de ce projet qui a été d’instaurer un laisser-faire en entreprise à travers la communication Groupe : Les collaborateurs étaient autorisés même incité à participer au challenge sur Yammer. Certains participants dans certaines structures ont cependant préféré ne pas prendre de risque et participer en dehors des heures de travail. D’autres par contre y ont consacré entre 30min et 2h par semaine au travail. Ça dépend des directions, des entités ce cas d’usage identifie des freins en fonction des entités, structures, fonctions.

  1. Réplicabilité

Ce concept est parfaitement réplicable puisque nous détenons une méthode maintenant éprouvée (e-KCP) à préconiser et que le coût de mise en œuvre reste modéré de l’ordre de 200k€ (hors comptage des heures des participants) et que l’on peut encore envisager des économies d’échelles par optimisation et industrialisation de l’exécution.

En y regardant de plus près, les chiffres que révèlent les analytics constituent peut-être une sorte de « règle d’or » ou « un étalon réussite » du processus d’idéation en entreprise que l’on pourrait surveiller pour se donner rapidement confiance ou anticiper le plantage sur une thématique qui ne serait pas bien ficelée/choisie. 
En se basant tout simplement sur la répartition :

11%animateurs

13%d’ambassadeurs

35% de vulgarisateurs/observateurs.

41% de producteurs ponctuels

  • Si ces proportions ne se retrouvent pas dans un nouveau challenge parviendra-t-on aussi bien à accorder innovation de rupture et acceptation sociale ?

Pour répondre scientifiquement à cette question il faudra d’autres challenges …