S’ils se heurtent encore à la difficulté de transformer certaines organisations, les réseaux sociaux d’entreprise font désormais partie de notre quotidien au travail. Président de l’observatoire des RSE, Ziryeb Marouf nous livre une vision de leur évolution pleine de clairvoyance et d’inspiration. Quel chemin parcouru ? A quoi ressembleront les nouvelles plateformes collaboratives ? Comment les entreprises vont-elles réinventer la notion de collaboration ? Le tour du sujet en 3 questions.
Vous dirigez l’observatoire des réseaux sociaux d’entreprises depuis près de 10 ans. Quelles ont été les grandes évolutions sur le sujet au cours de cette décennie ?
Ziryeb Marouf : Nous avons vécu trois phases distinctes au cours de cette période.
Dès 2010, les entreprises ont l’intuition que les projets de plateforme collaborative peuvent contribuer à modifier leurs façons de travailler. Il faut décloisonner, casser les barrières hiérarchiques, lutter contre la surabondance d’emails, etc…Nous sommes dans une phase de découverte. Les KPI utilisés pour mesurer la pertinence des démarches concernent essentiellement le nombre d’inscrits, le nombre de communautés et un certain nombre d’indicateurs exploratoires…
La deuxième phase a démarré vers 2015. Elle a consisté à générer de l’engagement. Même si les choses n’ont pas toujours été simples en termes d’usages, les pépites se sont multipliées. L’intuition a été confirmée. Les plateformes se modernisent. Il faut forger les réflexes, générer de l’engagement. Sur cet aspect, la conduite du changement est fondamentale. Les KPI surveillés vont concerner le taux d’activité, l’engagement des collaborateurs. On essaie de quantifier l’adhésion.
La troisième phase démarre maintenant. Le RSE n’est plus une innovation, c’est un outil du quotidien. Les entreprises n’essaient plus de se convaincre de son utilité. Elles n’ont plus besoin de la mesurer à travers des chiffres. Même si toutes les problématiques d’adhésion, d’urbanisation ou de technique n’ont pas été réglées, une masse significative de collaborateurs utilise ce type de plateforme au quotidien. C’est désormais un acquis, presque une évidence. On est dans la phase d’efficacité en intégrant pleinement les plateformes dans les gestes métiers.
Vous l’évoquez, malgré l’évidence, tout n’a pas toujours été simple sur le front du RSE. Quelles ont été les principales difficultés rencontrées ?
ZM : La qualité des profils riches en entreprise est toujours en décalage avec celle des réseaux grand public. Elle souffre sans doute des limites ergonomiques des outils proposés. C’est pourtant une source d’information extraordinaire pour la connaissance des collaborateurs, mais aussi pour la capacité à proposer des contenus et services pertinents ou personnalisés.
Au-delà de ce point, il y a beaucoup de promesses et pas mal de projets autour de l’intelligence artificielle, mais les réalisations restent plutôt limitées, comme le démontre une étude que nous avons faite avec l’observatoire.
Enfin, en matière d’adoption, on a atteint un certain palier. Dans les entreprises, il y a généralement 1/3 d’utilisateurs convaincus, 1/3 qui ne demandent qu’à l’être et 1/3 de réfractaires. Le ventre mou a franchi le pas. Aujourd’hui, en moyenne, 2/3 des collaborateurs ont compris l’intérêt de la démarche. Pour le dernier tiers, c’est souvent plus compliqué. On est parfois dans le dogme. De fait, la fracture s’accentue. Elle peut être très franche et très dure. Ceux qui refusent le mouvement peuvent se sentir exclus.
Ça, c’est pour le passé, mais quelles sont les tendances à venir ?
ZM : Les plateformes collaboratives permettent désormais de générer un volume impressionnant de données. Sous 3 à 5 ans, l’une des tendances devrait concerner l’exploitation de ces données dans une logique « big data » et « analytics ». Cette exploitation doit permettre d’améliorer l’expérience utilisateur en proposant des contenus de manière plus proactive. Elle doit également favoriser la compréhension des grandes tendances et l’identification des compétences internes. La force de ces analytics, c’est leur capacité à impacter les problématiques individuelles et collectives.
Au passage, l’augmentation du volume de données fait du Cloud un allié incontournable. Elle accroit, de fait, la dépendance de l’entreprise à l’égard des fournisseurs. La réversibilité est un sujet de plus en plus compliqué. C’est une question de stratégie d’entreprise. Le RSE constituant désormais un actif critique, les plans de reprise et de continuité d’activité spécifiques paraissent indispensables.
La deuxième tendance concerne les API. Les entreprises sont souvent confrontées au syndrome du mille-feuilles applicatif. L’enjeu est de mieux interfacer le RSE avec les autres applications de l’entreprise. On parle de hub. Le RSE présente l’avantage de pouvoir être personnalisé dans une logique de « plateforme », en complément d’une sorte d’App Store d’entreprise. Les applications mobiles se limitent à l’interface pour servir un use case particulier. Elles permettent de développer, de manière simple et rapide, de nouveaux services en s’appuyant sur le RSE. Toutes les informations étant contenues dans le réseau social, les applications peuvent évoluer, voire disparaitre, sans impact majeur pour l’entreprise.
Au-delà de ces deux tendances, l’Intelligence Artificielle aura forcément un impact à terme. Elle permettra d’automatiser un certain nombre de choses et le prédictif sera à la portée de chaque collaborateur.
L’IOT amènera également son lot de nouveautés. Il permettra d’intégrer de nouveaux profils qui pourraient être des machines, des objets connectés… Cela pourrait changer la définition même du mot « collaborateur ». Nous allons pouvoir travailler / collaborer avec des robots, des chatbots, des machines (remontées d’alertes, supervision proactive, gestion de stocks, merchandising etc…). Tout cela, en temps réel !
Enfin, ce que font certaines entreprises avec leurs clients est une belle source d’inspiration. Au-delà des fonctionnalités numériques, elles réinventent la notion de collaboration. Ce qui est intéressant, c’est l’état d’esprit. Le conseillé me connait et me simplifie la vie dans une logique de collaboration. On est dans une relation inclusive. Le client devient en quelque sorte « collaborateur ». C’est sans doute le futur de l’entreprise étendue.
Une interview menée par Daniel Goncalves, Directeur de la Transformation Digitale Collaborateur chez Orange Consulting