Droit du travail et numérique, Jean-Emmanuel RAY

Dans le cadre de la 18ème Rencontre de l’Observatoire des Réseaux Sociaux d’Entreprise, Jean-Emmanuel RAY, Professeur de Droit à la Sorbonne, est intervenu sur le thème du Droit du travail et numérique. À l’heure où les analytics et services personnalisés aux entreprises se multiplient, il nous livre son regard de professeur universitaire sur l’avenir de la formation en droit social et de la fonction RH. 

En guise de préambule, notre intervenant rappelle l’origine étymologique du verbe éduquer. Du latin ex ducere, il désigne le fait de « penser par soi même ». Une disposition essentielle, notamment lorsque l’on parle d’analytics, puisque sans esprit de rigueur on pourrait faire dire tout et son contraire aux chiffres.

Face à cela, il cite un exemple qu’il donne à ses étudiants en droit social : d’après l’INSEE, le taux d’embauche en CDD l’an dernier s’élève à 85%. Or, cela ne revient pas à dire qu’il y a 85% de précarité en France. Autrement dit, en matière d’analytics, le début de la sagesse consiste à savoir analyser et interpréter les statistiques. Il est essentiel d’avoir du recul.

Aujourd’hui, le travail de l’Université est d’apprendre à des juristes à porter un regard critique sur les chiffres. La difficulté, souligne JE Ray, est qu’un juriste de formation n’a pas de culture numérique et informatique. Or, aujourd’hui l’enseignement du droit du travail ne se résume pas au licenciement, mais comprend aussi la gestion des analytics et la Loi informatique et libertés. Si la gouvernance et l’exploitation des analytics en entreprise constituent un énorme défi pour les Ressources Humaines c’est parce qu’elles reposent sur une promesse paradoxale : collecter le plus grand nombre de données personnelles pour les rendre aussi prédictives que possible, tout en garantissant la sécurité. N’est-ce pas une pure contradiction ?

A ce défi, s’ajoutent les difficultés liées aux sévisses numériques en cas d’abus des données personnelles qui frôlent parfois l’absurdité. Le décalage provient du fait que nous nous trouvons entre deux mondes. La Loi informatique et libertés date de 1978. À l’époque, nous étions dans une logique de déclaration et de tableaux Excel. Résultat : aujourd’hui, pour homicide involontaire le coupable récolte 3 ans de prison. En comparaison, un individu qui collecte des données personnelles de façon illicite ou déloyale prend 5 ans de prison. Conclusion : un tableau Excel complété par un manager mal conseillé peut coûter jusqu’à 5 ans de prison.

 

Toutefois, d’après notre intervenant, une chose est sûre : la fonction RH se doit d’investir le terrain des analytics. Les enjeux sont multiples. L’un d’entre eux consiste à se mesurer : les analytics viennent asseoir la crédibilité des Ressources Humaines en leur procurant des indicateurs de mesure autour de sujets peu tangibles, tels que le droit à la déconnexion et à la vie privée ou encore l’engagement salarié.

 

Pour conclure sur cette thématique brûlante, J.E RAY rappelle le critère indispensable à l’exploitation des données personnelles en entreprise : l’acceptabilité morale et sociale. Comme disait Rabelais « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».